L’air pourtant se respire…
Jean Giraudoux termine sa pièce
« Electre » par cette double réplique :
-Comment cela
s’appelle-t-il quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que
tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se
respire…
-Cela a un très beau nom. Cela
s’appelle l’aurore.
Lundi matin, l’air
était plus léger. On se réveillait d’un long cauchemar. La
vulgarité, l’inculture, la cupidité et la corruption avaient
cessé de régler nos persistantes angoisses. S’en est allé,
enfin, cet être clinquant, imbu de lui-même, soucieux de mise en
scène, hâbleur taillé pour toutes les rodomontades, proférant
dans un désert d’idées les contre vérités les plus grossières,
soumis aux puissants, dur aux faibles, et finalement ne laissant
derrière lui que ruine et désolation.
Est-ce pour autant
l’aurore annoncée par le poète ? Voici qu’apparaît un
homme rond et souriant, qui proclame sa normalité comme d’autres
exhibaient leur rolex ou leur prédilection pour les yachts de leurs
fortunés amis. Voici déjà un autre style, un autre langage, une
simplicité apparente et de bon aloi. Voici surtout celui qui nous a
débarrassés de l’autre, et qui, ne serait-ce que pour cela, peut
prétendre à notre reconnaissance.
Mais de cela, nous ne
pouvons nous contenter. Nous ne pouvons oublier que celui qui, dans
un discours retentissant, a déclaré la guerre à la finance, est
aussi celui qui, avec d’autres, a donné son accord, exprès ou
tacite, à la signature de traités qui ont proclamé la suprématie
du financier sur le politique, et la soumission des gouvernements aux
puissances d’argent. Car c’était ça que de vouloir que
« l’Union offre à ses ressortissants un marché unique où
la concurrence est libre et non faussée ». C’était ça le
traité constitutionnel de 2005. C’était ça le traité de
Lisbonne de 2008 auquel il aurait été si facile de s’opposer. Dès
lors, quel changement politique profond espérer ? Quelle
nouvelle répartition des richesses attendre, sinon superficielle ?
Quel effort demandera-t-on aux classes privilégiées sinon
d’apparence pour n’effrayer personne ? Quelle contestation
du capitalisme spéculatif ? Quelle remise en cause du pouvoir
des banquiers ? Quelle autre Europe ? Autant de questions
lancinantes auxquelles on attendra des réponses pendant les mois et
les années qui s’annoncent, avec le seul espoir de ne pas être
trop déçu.
L’aurore ne sera qu’une
lointaine, très lointaine perspective.
Béziers le 11 Mai
2012.